Conseils superflus

Conseils superflus autant que présomptueux

La page « Conseils », la fameuse ! qui ressasse les indispensables directives à l'adresse des apprentis écrivains, des curieux tentés par la chose écrite, l'invariable synthèse des sites littéraires, la transmission quasi magique de ceux qui savent un peu vers ceux qui ne savent pas trop.

De quel droit puis-je prétendre donner des conseils à autrui, spécialement aux écrivains ? En effet, je n'en ai pas plus le droit que d'autres qui ne s'en privent pas. Mais voilà, j'avais envie de me faire plaisir et notre époque accepte que chacun donne son avis, inspiré ou malavisé, n'importe le sujet : c'est une bonne chose, pas toujours certes (1), mais souvent quand même ; nous n'allons pas nous plaindre de vivre en démocratie, contrairement à certains privilégiés parmi nos propres autochtones, pas futés ou aux ordres de despotes du tiers-monde, voire d’autocrates mafieux, qui régulièrement et sans rougir se plaignent de vivre sous une dictature ! (2) Aussi profitons-en, je m'octroie cette possibilité de jouer les conseilleurs, d'autant plus que je suis sur mon site et que je fais ce que je veux, non mais sans blague ! 

Donc, aux apprentis écrivains perplexes tâtonnant sur le réseau mondial à la recherche d'indices menant à la célébrité, à la gloire, à l'argent, au bon pognon, aux pépètes qui tintent, à la bouffe de palace, à la médaille des Arts et des Lettres, aux poignets de main des chefs, aux honneurs, aux délires amoureux des femmes, des hommes, et de... du... !!! Bref, je propose ce petit billet concernant l'abordage de ces créatures farouches et mystérieuses que sont les éditeurs dont ils rêvent de devenir les têtes d’affiche et les vaches à lait.

De Charybde...

Plutôt que de faire injure aux auteurs néophytes (avec toujours le risque de ne pas leur arriver à la cheville) en leur rappelant de respecter grammaire et ponctuation, de surveiller leur orthographe, ou encore de les conseiller sur leur style (quasiment propre à chaque écrivain : quoi de comparable, sinon qu’ils travaillent la même langue, entre Zola, Céline, Mirbeau, Nizan, Bernanos, Proust, Hugo, Camus, Huysmans, et j’en passe pour ne citer que des Français ?), je m’exprimerai sur le seul monde de l’édition et ses intimidants séides, avec quelques commentaires à l’égard du public.

Je distribue à ces téméraires gens de plume de sincères encouragements, car sauf à taper pile dans la mode du moment (3) et à se limiter à une prose de niveau CM2, sans passé simple ni subjonctif, ils ont peu de chance de s’extraire du lot, de se démarquer d’une production pléthorique et d’être remarqués. Surtout que de nos jours, on ne peut même plus coucher sans que cela ne prenne des proportions judiciaires, alors ça devient compliqué de se faire un nom et une cagnotte ! Bref, ce n’est ni votre faute ni même celle de l’éditeur, mais l’impératif ordinaire d’un système où sans surprise l’argent commande la création. Comme en musique, la fausse note n’est pas une option (encore que !), et le mieux est de vendre à un public déjà acquis, de lui servir la pitance devant laquelle il salive, de limiter les risques, voire la casse : quand l’entreprise joue son argent, elle veut un retour sur investissement, c’est humain, ne nous mentons pas, nous en ferions probablement tous autant (4).

Le monde du cinéma connaît le même problème qu'il gère à une autre échelle, à coup de milliards, d’où l’abondance de bouses infâmes calibrées au millimètre qu’on nous sert depuis quelques années. Donc à moins d’être une vedette repulpée de la télé-réalité de vingt-cinq ans à forte poitrine spécialiste du grand écart ; de déballer les déboires sexuels et/ou financiers d’un politicien de premier plan ; d’être un coach musculeux confident indiscret des stars ; un sportif égrenant ses misères fiscales depuis sa thébaïde monégasque ; de révéler les secrets du bonheur apathique d’un lama tibétain ; ou d’assurer prospérité et vigueur sexuelle avec les conseils d’un gourou émacié, difficile de voir sa prose sur les rayonnages des librairies. Restent aussi les livres de régime ou inversement de recettes de cuisine, une littérature en vogue avec de belles macrophotographies en couleur qui limitent avantageusement la place du texte. Vous pouvez aussi vous lancer dans la biographie du genre « Matez ma différence ou comment je m'éclate dans la vie avec mon diabète et mes deux cents kilos » suivie de l'inévitable deuxième tome « Matez l'exploit ou comment j'ai perdu cent trente kilos et retrouvé santé, sexualité, sourire et le plaisir de faire les boutiques » (5).

Au hasard des quotidiens et des hebdomadaires, j’ai d'ailleurs découvert d’étonnantes méthodes de sélection des manuscrits qui amuseraient si ce n'était si triste. J’ai ainsi appris que certains éditeurs se plaisaient, les coquins ! se vantaient même, de juger une œuvre sur la lecture d’une unique page, dans le cas présent la quatre-vingt-dix-neuvième. Curieux choix que ce numéro : est-ce en milieu d’ouvrage, auquel cas nous frôlerions plus la nouvelle que le roman ? Est-ce plutôt un numéro fétiche, ce qui nous mettrait en présence d’un numérologue consumé d’occultisme ? Une préférence pour une position sexuelle particulière (la « 99 », dite « en cuillères ») ? Un quotient intellectuel ? Très possible, mais l’énigme demeure.

Dans tous les cas, juger de la recevabilité d’une œuvre sur une seule page dénonce une flemme intense doublée d’un mépris certain, sauf à imaginer que l'écrit est vraiment d'une misère affligeante. Sans doute que le métier n’est pas facile, à devoir s’abîmer les yeux sur la prose de milliers d’auteurs certainement plus ou moins doués, avec dans l'estomac la peur de rater la perle rare. Toutefois, le comité de lecture en question ne pourrait-il pas avoir la délicatesse, la décence plutôt, de s’envoyer un chapitre, un minimum de deux pages, peut-être trois si ce n’est trop demandé ? (6) Enfin, s'il existe de vrais professionnels de l'édition qui croulent littéralement sous les manuscrits, les auteurs ne doivent pas perdre de vue que nombre d'éditeurs autoproclamés, sans compétences littéraires particulières, formés sur le tas, qui n'ont eux-mêmes jamais écrit ou publié, occupent le terrain, souvent passagèrement, moins motivés par l'amour de l'art que par le numéraire.

... en Scylla

Ensuite, indépendamment des éditeurs, il y a le public visé, la cible, le lecteur en bout de chaîne, celui qui paie, qui achète, le jobard parfois. Et là, nous avons un gros problème, un sacré problème même. Car si les vrais lecteurs lisent toujours autant, leur proportion dans la population diminue drastiquement. Alors effectivement, on repère ici et là des sondages affirmant que la lecture se porte bien, que le marché tient bon, que la monnaie rentre. Malheureusement si les ventes suivent, elles sont portées en premier lieu par les BD et spécialement les mangas, les « romans graphiques » (?), les bios à deux balles (plutôt trente balles, de nos jours l'inflation des prix comme de la bêtise atteint des sommets), les ouvrages de bien-être, les magazines, les programmes politiques et les productions annuelles calibrées sorties des écuries des grandes maisons d’édition (7). Car ce fameux public de lecteurs perd progressivement sa capacité à aborder des ouvrages complexes en raison de sa moindre maîtrise de la langue, ce qui ne surprendra personne à une époque de démission sociétale, spécialement dans l’Éducation nationale qui par souci d'une égalité de façade trouve génial de refourguer ses diplômes (8) : les  jeunes, et déjà sans doute de moins jeunes, éprouvent, paraît-il, des difficultés à appréhender des phrases de plus de quatorze mots et qui sortent du schéma primaire sujet-verbe-complément. Inutile donc de leur imposer Proust, Balzac, Barbey d’Aurevilly, Flaubert, pas plus que Jules Verne, et encore moins Rabelais ou Racine (pour ce dernier, je le reconnais, je ne suis pas fan moi-même). Ajoutez à ce désolant tableau les ravages des « sensitivity readers », ces inquiétants « démineurs éditoriaux », « lecteurs en sensibilité » ou autres « consultants en diversité », nouveaux inquisiteurs orwelliens se gargarisant d'anachronismes, et l’avenir s’écrira en belles onomatopées à coups de ciseau « woke » pour le grand bonheur d'un monde rose bonbon (9).

Les « goûts changent », se justifient les éditeurs, le passé est dépassé. Je dirais plutôt que le « niveau change » ! (10) Et ce niveau semble également changer dans les comités de lecture de ces nobles maisons d’édition. Il y a quelques années, un hebdomadaire national publia un article, une vraie gourmandise ! révélant le refus par un grand éditeur d'un manuscrit lui étant parvenu sous un faux nom, œuvre majeure d’un illustre écrivain français (je ne me souviens plus duquel, Céline je crois). L'éditeur n’avait même pas reconnu l’auteur ! La vache ! Et ces gougnafiers osent juger les ouvrages qui leur parviennent ? Ils devraient changer de métier, vendre des crêpes ou quitte à éditer qu'ils fassent dans les calendriers ! Mais non, les « goûts changent, les lecteurs ont changé ! » disent-ils. Phrase équivoque à mon goût, qui peut fort bien signifier : « les lecteurs sont plus cons qu'avant, ils sont ignares, gobent tout et pigent que dalle, alors on s'adapte ». Merci pour eux.

Il faut se faire une raison, la littérature est, spécialement aujourd'hui, moins un art qu’une industrie. J'imagine ce qui peut passer par la tête des éditeurs : « Ah, mais faut bien vivre mon pov’ monsieur, le papier, ça coûte des pépettes, sans parler de la distribution, la pub, les présentoirs, la concurrence d'Internet, et tout et tout, et mon salaire !  ». Le pire, c’est que dans une certaine mesure, je les comprends.

Au moins, ça m’aura amusé. Évidemment, quelques malins railleurs ne manqueront pas de dire : « ouah l'aut' ! il est aigri, le mec, il a les boules, râle parce qu’il s’est fait jeter, parce qu’on l’a pas publié ! ». Je leur répondrai que c’est toujours possible, qu’il y a peut-être un fond de vérité, qu'il est toujours désagréable de ne pas être reconnu à la valeur que l'on s'estime (même si l'on se trompe !), mais que surtout, ces malins railleurs, je les emmerde très fort et même, pour en rajouter une couche, très profondément ! Je n’attends pas après ça, je tapote sur mon clavier pour mon plaisir, parce que ça m’amuse et aussi parce qu’on m’y a invité. Il est néanmoins vrai que le spectacle des daubes infâmes qui s’entassent par paquet de mille dans les grandes librairies et s'empilent sur les comptoirs des petites a de quoi ruiner la patience d’un bonze ! Se voir doublé par des pousse-crayons au nom de la seule rentabilité agace un tantinet ! Les meilleurs bouquins, les plus grands auteurs, ceux passés, présents et à venir, disparaissent sous des tombereaux de merde imprimée qui interdisent aux chalands de s’y retrouver, d’opérer un choix constructif.

Enfin bref ! ça fait du bien de balancer un peu ! Mais je me rends finalement compte que ce n’est pas un conseil que je vous donne mais que je livre une constatation. Désolé, je ne suis pas fakir, la solution miracle, je la cherche toujours !
Et puis, les conseils, on sait pertinemment ce qu'on en fait, qu’il y a peu de chance qu’on les suive. Écrire pour soi, avec son propre style, espérer trouver son public, et si ça ne marche pas, l’important est de s’être fait plaisir et de garder le contact avec la chose écrite, de muscler le carafon jusqu’à son dernier souffle.

Une dernière remarque à l’attention des sensibles qui auraient la désespérance à fleur de peau : rappelez-vous que des auteurs aujourd’hui mondialement célébrés comme Margaret Mitchell, Franck Herbert, J.K. Rowling, Stephen King, Ken Follett et même Conan Doyle ont parfois connu les pires difficultés pour se faire éditer, essuyant refus sur refus de différentes maisons d’édition.

Inversement, les monstrueux quintaux d'étrons qui obstruent les devantures des boutiques et encombrent des mètres carrés dans les librairies devraient vous remonter le moral (étant bien disposé, et prudent aussi, je ne nommerai personne, ne donnerai aucun exemple, mais vous devriez en trouver de pleins rayonnages dans les grandes surfaces en tête de gondole). Eh oui ! notre monde est incroyable, tout est possible, le manque de talent n'est jamais un obstacle, être nul peut sauver, les plus mauvais peuvent émerger, connaître gloire et succès, voyez simplement l'industrie musicale, allez un peu fouiner sur les réseaux sociaux ! Je ne le répèterai jamais assez : quand on doute, il suffit de regarder autour de soi, dans la rue, au boulot, à la télé surtout, ça réconforte ! Un petit coup de télé-réalité et hop ! requinqué ! On colle l'oreille à la radio, un clic dans le web et ça repart plein pot ! On se sent immédiatement génie, virtuose ineffable, on se dit tout haut, soudain tout confiant « c'est sûr, si eux, pourquoi pas moi ?  ».

D’un autre côté, d'autres génies, de vrais ceux-là, qui ont marqué l'histoire de la littérature, sont parfois morts dans la misère… Ou pire : exemple, John Kennedy Toole, qui ne put jamais faire éditer son roman « La conjuration des imbéciles », en fut à ce point déprimé qu’il se suicida ; des années après sa mort, son ouvrage reçut le prix Pulitzer de la fiction à titre posthume. Super, pas vrai ?

Ce monde est dur et, ce qui n'arrange rien, déborde d'humains. Rassuré ?
Comment ça, non ?

(1) Pas toujours en effet. Il m'est arrivé, à ma grande stupéfaction, d'intercepter au hasard de ma télécommande une émission télévisée où un scientifique se faisait reprendre dans son propre domaine d'expertise par un clampin sous-scolarisé bête à bouffer du foin qui ne connaissait rien au sujet. Le présentateur arbitrant cette scène surréaliste n'y trouvait rien à redire, confondant sans doute égalité des droits sociaux ou du temps de parole avec égalité des connaissances. À moins tout simplement qu’il n’y comprît rien, ce qui n'aurait été en rien une première dans la profession. Inutile de dire que le scientifique était plutôt estomaqué, d'autant plus que le public (qui toujours adore que tombent ceux qui en savent plus que lui) était en faveur du béotien. Sans doute que ce pauvre scientifique n’était pas assez « fun » pour la télé, qu’il ne poussait pas des « oh ! » et des « ah ! » crispants, ni ne pleurait à gros bouillons à l’évocation de sa jeunesse studieuse et des vacances chez pépé.

Il est pourtant une règle fondamentale dans l'univers qu'une erreur répétée un million de fois ou vociférée par un million d'ignares ne fait pas une vérité. La véracité d'un individu isolé doit l'emporter sur les certitudes erronées de la multitude sinon c'est le retour aux grottes.

Aux indécis comme à ceux qui ne seraient pas convaincus, je pose la question : laisseriez-vous votre voisin de palier qui gère la superette du coin de la rue pratiquer sur vous une opération à cœur ouvert ou préféreriez-vous qu’un chirurgien diplômé d’une bonne faculté de médecine s’en charge ? De la même façon, monteriez-vous dans un avion piloté par le rappeur à capuche qui tête sa chicha dans votre hall d’immeuble (oui, celui qui sent la soupe de poireaux et a foiré son certificat d’études !) ou vous sentiriez-vous plus à l’aise avec un pilote chevronné aux commandes ? Et vous, si vous n'êtes pas toubib ou pilote, le feriez-vous ? Voilà, sauf à être d'une totale mauvaise foi, vous connaissez la réponse.

(2) Spécialement quand le gouvernement prétendument oppresseur qui les entretient, les subventionne ou les assiste, gouvernement pourtant démocratiquement élu et qu'ils ont tout loisir de renouveler aux élections suivantes, les empêche de foutre le bordel ou de tout cramer, voire les exonère du chaos qu’ils ont provoqué. Bien entendu, c'est mon avis personnel que je partage en commun avec moi-même.

(3) Petit tuyau que je vous refile à l'œil, il semblerait que le transgenre, les migrants, les zombies (en plus d'avoir la peau dure et de l’appétit, le zombie ne s’essouffle pas !), le « young adult », la critique de la société de consommation, le « déconstructionnisme social », le « girl power », la diversité, la décroissance, la « mixité sociale », l'autoflagellation sociétale, les amours LGBT, etc., aient le vent en poupe (plus précisément LGBTQIA+, voire même « LGBTTQQIAAP » pour « lesbian, gay, bisexual, transgender, transsexual, queer, questioning, intersex, asexual/aromantic, agender, pansexual » : je trouve que « NBH », pour « Non Bêtement Hétéro », raccourcirait avantageusement ces sigles !). Mais inutile de s'attarder, personne n'aura remarqué ces nouvelles thématiques, que ce soit dans les rayons des librairies, à la télé, sur les réseaux, dans les salles obscures...
J’allais oublier un dernier thème essentiel et très vendeur, qui fait fureur : la « masculinité toxique », expression qui pour beaucoup de tartuffes de nos contrées protégées frôle le pléonasme (voir les entrées « Blanc » et « Patriarcat » du GLOSSAIRE). Il est important de remarquer que cette toxicité ne s’applique qu’au « mâle blanc hétérosexuel d’Occident », d’un certain âge de préférence, en toute circonstance pervers et raciste, jamais aux mâles africains, asiatiques ou proche-orientaux tous très inspirés par les philosophies humanistes, bien connus pour leur féminisme engagé et leur tolérance à l’égard des femmes (et des minorités sexuelles). Et là apparaît le paradoxe que véhiculent certains apôtres de la mauvaise foi : cet Occident honni qui porte en lui tant de défauts a pourtant accouché en quelques siècles (non sans douleur il est vrai et sans toujours remporter de succès définitifs), de l’écologie, du féminisme, de la liberté politique, de la tolérance religieuse, de la démocratie, de l'ouverture aux sexualités alternatives, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, des droits de l’homme (et de la femme). Pourtant, cet Occident qui sut abolir l’esclavage se complait aujourd'hui dans une repentance masochiste, s’y vautre allègrement, se régale d’autocritiques et suinte le mea culpa sous le cilice du dénigrement de soi, assume avec bonheur toutes les tares, se juge seul coupable des méfaits du monde, présents, passés et à venir. Ce qui ne signifie nullement qu'il n'a pas encore du travail à accomplir ni des progrès à faire.

À l’opposé, les nations et les cultures qui pratiquent encore allègrement esclavage (dans des formes modernes plus ou moins discrètes) et discrimination, qui rejettent la démocratie pour la dictature, vomissent les droits de l’homme, oppriment peuples et minorités, estiment les femmes inférieures, juste bonnes à enfanter ou satisfaire le plaisir des mâles, qui vouent aux gémonies homosexuels et mécréants, quand ils ne les massacrent pas, ces pays donc passent pour les victimes éternelles d’une histoire forgée par cet Occident invariablement oppresseur, dont ils attendent souvent subsides, technologies et assistance. Bref, c'est gonflé !

En politique, il convient de ne jamais sous-estimer l’hypocrisie : ceux-là mêmes qui rejettent la démocratie comme un régime inadapté à leur société sont généralement des privilégiés aux commandes, qui profitent de leur situation mais refusent prudemment l’égalité à leurs subordonnés, clientèles et dépendants. Bref, rien de bien nouveau sous les étoiles.

(4) Ceux qui râlent sont ceux qui n'ont pas le pognon, ce qui peut se comprendre : quand ils l'ont, ils ne râlent plus, ou moins, ou font semblant. Curieux, on croirait presque y voir une relation de cause à effet. Sûr que l'on n'avait jamais fait le rapport. Cela expliquerait-il le fait que l’on compte si peu de milliardaires communistes ? Je pense que nous tenons là de bons sujets de thèse, en psychologie comme en sociologie, et de quoi proposer une bonne centaine de Masters.

(5) Nous vivons une époque fabuleuse d'adoration du corps où néanmoins le gros, l'obèse, ne doit pas être montré du doigt ni ostracisé, ce qui est plutôt estimable. Opportunistes telles des hyènes rieuses chipant une charogne goûteuse au léopard, les publicitaires nous inondent désormais de spots télévisés affichant des personnes en sévère surcharge pondérale mais absolument ravies (on ne parle pas là de 10 kg ou 20 kg de trop, mais de 50 kg ou 100 kg de surplus !) qui visiblement (du moins veut-on nous le faire avaler) pètent la forme et rivalisent de charme avec les plus splendides éphèbes et mannequins : bref, une attitude adorable, merveilleusement « body positive » qui exalte la « diversité corporelle ». Message pas vraiment subliminal, à portée même des plus obtus : interdit de discriminer, pas de « grossophobie », c'est pas bien ; les gros, pardon ! les « gens plus larges que la moyenne », ou mieux, les « personnes en surpoids » ou « à volumes différemment répartis » ! c'est pareil que les maigres et les bien fichus (non, correction, pas les « maigres », les « autres » !).

Soit ! tous les goûts sont dans la nature, l'important c'est le bonheur, et chacun a le droit de se faire des idées : il est de notoriété publique que les TRÈS « fortes tailles » musclées comme des flans sont les partenaires les plus recherchés dans tout ce qui touche aux choses du sexe. Il suffit d'interroger autour de soi pour s'en rendre compte : les filles canon avec des jambes jusque sous les bras et les gars bodybuildés aux abdominaux d’acier n'ont vraiment aucun succès.

Sans oublier que lorsque les personnes atteintes d'obésité morbide retrouvent une taille de guêpe ou un corps d'athlète à force d'exercices, de régimes et de volonté, elles en sont très contentes, très fières, n'en finissent pas de le faire remarquer tout comme on se plait à vanter leurs mérites, à admirer leur ténacité.

Le problème (l'hypocrisie plutôt) est que les gouvernements s'inquiètent de cette épidémie d'embonpoint tandis que des spots publicitaires préviennent le gourmand de ne pas abuser des bonnes choses, qu'il convient de manger sainement (cinq fruits et légumes par jour et non cinq barres chocolatées et des sodas !), qu’il faut se bouger pour surtout ne pas grossir, car l'obésité frappe durement la population qui souffre d'un tas de maux désagréables, des maladies cardiovasculaires aux troubles musculosquelettiques en passant par le diabète type 2. Alors pourquoi ces milliards injectés dans la recherche biomédicale ou dépensés par les entreprises pharmaceutiques pour lancer des traitements contre l’obésité sur le marché ? Cela ne servirait donc qu’à amuser la galerie ? Serait-ce une stratégie « grossophobe » de nos madrés politiques aux ordres de « Big Pharma » ? Au bout du compte, il faudrait savoir ! Que faire ? Pointer les gros du doigt, leur conseiller de se surveiller, voire de se soigner ? Ou on leur fout une paix royale en leur jurant que tout va bien, qu’ils pètent la forme ? Ne serait-ce pas déjà de la non-assistance à personne en danger ? Cela dit, quiconque trouve normal d’être dans l’impossibilité de lacer seul ses chaussures, d’apercevoir son kiki sous son bide, d’ahaner en grimpant trois marches ou de faire une crise de tachycardie en se levant du canapé, m’apparaît comme un sacré faux jeton ! (Pour continuer à s'énerver sur ce sujet « fort » sensible, consulter l'entrée « Gros, grosse, obèse » du GLOSSAIRE).

(6) À noter que les meilleurs romans découragent certains éditeurs qui parfois surestiment leurs capacités littéraires. Dans « Apostille au Nom de la rose », Umberto Eco rapporte que ceux-ci lui suggérèrent de raccourcir les cent premières pages de son fameux best-seller « Le Nom de la rose » qu’ils trouvaient « trop absorbantes et fatigantes » ! C’est une façon de voir et aussi de refuser de laisser l’auteur exposer son sujet, certainement pour mieux le mouler dans un conformisme ambiant jugé plus vendeur. Heureusement l’auteur refusa de s’exécuter, ce qui nous aurait privés d’excellentes pages de ce bonheur littéraire. Quant au staff de l'éditeur en question, si la lecture d'un pareil ouvrage lui est apparue trop « fatigante », une reconversion professionnelle s’impose, dans le manga ou la publicité par exemple. Ceux-là, on les laisserait faire, ils n’éditeraient plus que pour la « Bibliothèque rose » !

(7) Autant que le Goncourt, le Renaudot ou le Nobel de littérature rarement ouverts mais posés « négligemment en évidence » sur un coin d'étagère, cet autre témoignage affolant de notre décadence à marche forcée : le « livre de table » ! (ou « coffee table book »), concept inouï qui m'a cueilli au hasard d'une émission de télévision sur l'aménagement d'intérieur. Le bouquin comme objet de décoration ! Inutile de le lire, ou même de le feuilleter, ce n'est plus là son rôle, on le pose seulement sur une table basse, ouvert, proposé à l'admiration des foules invitées. Évidemment, pas un livre de poche ni le programme télé, mais un bouquin d’art bien épais avec de belles photos sur papier glacé, l’atlas rare et précieux déniché chez un antiquaire, l’incunable de prix levé lors d’une vente aux enchères ou la somme érudite d’un intellectuel de renom dans une collection de luxe.

Finalement, je ne m'en suis toujours pas remis. Je résumerai ce concept novateur d'une formule lapidaire : « comment passer pour un con en se croyant intello ». Interrogation corrélative : « pourquoi quelqu'un qui parfois et a priori n'a rien à prouver sur le plan intellectuel tient à tout prix à se ridiculiser en voulant être considéré pour ce qu'il est et qui apparaît déjà à tout le monde ? ». Mystère de la vanité. Cela rappelle ces faux rayonnages de bibliothèques qui agrémentaient autrefois certains salons bourgeois ou qui se voulaient tels. Dans une même perspective, j’ai connu une personne, fort cultivée au demeurant, qui aimait à voir trôner sur un beau lutrin récupéré dans quelque brocante l’ouvrage magistral d’un de nos brillants historiens. Très jolie déco bien que cela me fit un peu pitié pour ce monsieur.

(8) La reculade ne touche pas que la littérature. Est à cet égard révélateur le niveau désastreux des élèves en mathématiques et en sciences dans un pays comme la France qui pourtant peut encore s’enorgueillir de remporter prix Nobel, Médailles Fields et prix Abel. Mais jusqu’à quand ? Cette inculture favorise à merveille la diffusion des théories les plus saugrenues et la propagation des pseudo-sciences, deux manières efficaces de précipiter la tiers-mondisation des sociétés (pour mieux se faire les crocs sur le sujet, foncer sans attendre à la page COMPLOTISME de ce site). Apparemment, cela n’inquiète guère nos décideurs qui sont peut-être eux-mêmes contaminés.

Pour paraphraser Schopenhauer avec sa citation sur les religions : « ignorance et bêtise sont comme les vers luisants : pour briller, il leur faut l'obscurité ».

(9) Le roman « À VOS CLONES ! PARTEZ ! » aborde frontalement ce sujet d’une brûlante actualité en mettant les pieds dans le plat bille en tête et sabre au clair. Le héros, Gustave Hutin, cadre-opérateur au département de la « Répression Douce et des Vertus Citoyennes » de l'Entente des Territoires Centraux, se voit confier une mission sur la mystérieuse planète Gringol, aventure psychologiquement éprouvante par bien des aspects et qui ne le laissera pas indemne.

(10) Sans surprise, le niveau est un peu partout à la baisse. Sur le bandeau déroulant d’une chaîne d’actualités du câble, je suis tombé récemment, et entre autres, en lieu et place d’« austérité » sur un magnifique « ostérité » qui m’a laissé pantois. Évidemment, cela fait aussi bien longtemps que je ne compte plus les participes passés à l’infinitif et autres conjugaisons aléatoires, ça serait trop de boulot, m’énerver inutilement et prendre le risque de passer pour un sale con de réactionnaire plus attaché à d’inutiles vieilleries qu’à la dynamique langagière propre à notre modernité progressiste si riche de diversités.